Comment affaiblir un maillon fort
Si je n’avais pas un profond respect pour Tana Umaga, je me dirais que son interview dans le Midi Olympique du jour est inquiétante. Que dit-il ? Que Serge Betsen est pour lui le meilleur joueur du monde. « Vous possédez une perle, Serge Betsen. Vous avez la chance d’avoir le meilleur joueur du monde actuel dans vos rangs. Quand j’ai entendu qu’il était plus ou moins remis en cause par les médias, j’ai cru rêver. Moi, si je fais le XV de France, je le mets d’abord et je construis autour. (…) Pour l’avoir déjà "testé" sur les plaquages, je peux vous dire que c’est un client. Il vous marque physiquement. Son jeu n’est peut-être pas spectaculaire mais il est indispensable à l’équipe de France ».
Pourquoi ce formidable éloge de la part d’un joueur de la trempe d’Umaga serait-il inquiétant ? Parce que ça m’a rappelé un numéro de l’Equipe magazine paru le 25/08, et que reprend le Canard Enchaîné (et oui !) de la semaine dernière (sous l’excellent titre « Ovale masqué »…). Allez, je vous retranscris la plus grosse partie, et vous comprendrez le rapport. Ça cause de la demi-finale de la RWC99 à Twickenham : « On savait que Josh Kronfeld était sans doute le joueur le plus dangereux de cette équipe" explique tout d’abord Richard Dourthe. "Mais, au premier regroupement, Kronfeld était par terre, et pas en très grande forme". Les raisons de cette subite baisse de tonus sont clairement explicitées une page plus loin par le pilier tricolore Cédric Soulette : des aveux frappants et trébuchants qui ouvrent de charmants aperçus sur les authentiques pratiques du rugby. Et sur les coulisses des compétitions : "J’avais une sorte de mission. « On » m’avait demandé de viser Kronfeld. (…) Au premier regroupement, il a voulu gratter un ballon et, là, y’a une ampoule qui a éclaté dans ma tête. Les filaments ont dû se séparer. Alors oui… J’ai fracassé Kronfeld. Mais, vous savez, à l’époque, on me surnommait "le piège à loup". Le "loup" blessé, "groggy" pour toute la durée de la rencontre, fit une réapparition "au banquet d’après-match", poursuit un peu plus loin Soulette : "Il se tourne vers Galthié, qui parle anglais, me désigne d’un regard en coin et fait tourner son index sur sa tempe. En gros, il voulait me faire comprendre que j’étais complètement fêlé". Un "fêlé" fracassant » !
Vous me suivez ? J’espère que rien n’arrivera de ce genre à notre Betsen ni à leur Kronfeld actuel, Ritchie Mc Caw.
Sinon, que dire de l’actu, c’est-à-dire de la composition de l’équipe de France pour le match de vendredi ? Rien, parce qu’il n’y a pas de surprise, elle me semble extrêmement logique. Dusautoir n’était pas loin, ce joueur me plaît beaucoup, mais j’ai aussi une réelle satisfaction de voir aligné Rémy Martin. Nul doute que Dusautoir, Bonnaire et Nyanga seront de toute façon très utilisés.
Ça n’empêche pas d'avoir quelques pincements au cœur (mais pas autant que Laporte sans doute !), en particulier pour Lionel Nallet. Mais Chabal est indispensable… comme remplaçant. Pour Nallet, pas le choix : il ne peut être que numéro 2 ou numéro 4… Sauf si Attila se plante lors de sa rentrée vendredi, mais ça, c’est une hypothèse que je n’ai pas intérêt à envisager trop fort, sinon Pierrick Lefol me saute dessus, vu que c’est son idole (je vous ai déjà laissé entendre qu’ils avaient quelques similitudes physiques et de jeu).
Après, je cautionne le choix d’Heymans dans la mesure où on n’a pas d’alternative à un Poitrenaud un peu en-dedans. Si Castaignède avait été là…
Ce qui m’épate surtout dans cette équipe de départ, c’est le banc. Jamais on n’a vu des remplaçants aussi bons. Quand je pense à autrefois… Té, pas plus tard qu’aujourd’hui, j’ai discuté avec Richard Burton (vous vous rappelez bien sûr de cet acteur, mais saviez-vous qu’il était Gallois et passionné de rugby ?) et William Henry Pratt, lui aussi acteur britannique mais Anglais comme moi… Voyons, vous connaissez tous WH ! Non ? Peut-être davantage sous son nom d’acteur ? Boris Karloff… Oui, Frankenstein ! Quel joueur ce Frankie il aurait fait ! Quel usage on aurait pu faire de ce fantastique front ! Même Francis Haget n’était pas de taille !
Enfin bref (c’est mon expression favorite, vu le nombre de digressions que je fais à la minute) : tous deux étaient de leur vivant de fervents supporters, après avoir été aussi d’honnêtes pratiquants amateurs (pléonasme à l’époque) durant leur jeunesse.
Et bien, Richard nous racontait que, pour le premier match international officiel du Pays de Galles, le 19 février 1881 (contre l’Angleterre évidemment), des convocations se perdirent : il avait alors fallu chercher juste avant le match deux volontaires néophytes pour compléter la sélection…
Alors évidemment, voir aujourd’hui les armadas présentes sur les bancs des remplaçants, ça nous fait tous siffler d’admiration…
PS : J'évoquais l'autre jour avec Gotbips un château Haut-Brion 1862 qui me rappelait de bons souvenirs dans les commentaires de "Pieds carrés et manchots" (23/08). Ça a fait tilt dans la tête d'un compatriote de là-haut (mais rassurez-vous, aucune "ampoule n'a éclaté dans sa tête" !), qui du coup s'est remémoré le menu d'un festin organisé après un Ecosse - Angleterre de 1877 auquel il avait participé. Un festin incroyable durant lequel il fut servi (entre autre) aux joueurs un Château Léoville de 1862.
Pourquoi je vous raconte ça ?
Pour vous faire saliver : je mettrai bientôt ici le menu de ce repas d'après-match dans son intégralité (pour ceux qui ne veulent pas attendre, ils peuvent le trouver page 64 de "Histoire mondiale du rugby", ed. BHP, par Jean-Pierre Bodis).