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Le blog de William Webb Ellis
14 août 2007

L'Argentine, dindon de la farce

Je dois laisser ce blog en stand by pendant deux jours, bicose il faut que je rejoigne Menton d'urgence : un gentil lecteur a lu mon billet du 3 août dernier ("Cardiff, c'est sur le chemin de Menton"), et me propose de m'y retrouver pour que je l'accompagne à ce fameux Galles-Australie où je pourrai enfin boire (par procuration) une bière pendant un match de la coupe du Monde. Je ne vous oublie pas : c'est pourquoi j'ai enchaîné deux textes aujourd'hui. Et, s'il fallait une autre raison, l'actualité du rugby argentin m'y obligeait. Je m'explique :

Ils espéraient enfin être acceptés par les instances du rugby, celles du Sud ou celles du Nord. Ils viennent de se faire jeter comme des malpropres. Oh bien sûr, les "bonnes" raisons ne manquent pas : manque de financement, exil des joueurs argentins en Europe, nécessité d’une compétition professionnelle en Argentine… En émettant cette dernière condition comme préambule pour que les Pumas intègrent un tournoi majeur, officiellement pas avant 2010 ce qui est déjà une très mauvaise nouvelle, et officieusement pour les calendes grecques, l’IRB vient non seulement d’infliger une énorme déception au rugby argentin en particulier mais aussi au rugby mondial, mais exige également de tuer la spécificité du rugby sud-américain, fondé encore aujourd’hui sur un ancrage amateur qui n’a pas d’équivalent.

Historiquement et structurellement, l’Argentine n’a pourtant rien à envier à qui que ce soit. Le rugby y est né un an après la France, en 1873 (1er match officiel), introduit par des immigrés britanniques. La Fédération argentine de rugby à XV (Unión Argentina de Rugby) a été créée en 1899, en même temps que la River Plate Rugby Football Union. L’UAR a la charge d'organiser et de développer le rugby à XV en Argentine ; elle regroupe les fédérations autonomes, les clubs, les associations, les sportifs, les entraîneurs, les arbitres etc.
Le Nacional de Clubes est la compétition de clubs en Argentine, qui réunit 16 équipes répartis en 4 poules (les deux premiers de chaque poule sont qualifiés pour des 1/4 de finale). L'Unión de Rugby de Buenos Aires (URBA) organise de son côté une compétition provinciale de clubs, la plus importante de toutes
les compétitions provinciales. Toutes ces compétitions sont entièrement amateurs.

Sur le terrain, l'Argentine a tout prouvé.
En 1910, l'université d'Oxford traverse l’Atlantique pour une première tournée, l'équipe nationale argentine joue le premier match de son histoire, qu'elle perd 3 à 28. En 1927, ce sont les Lions britanniques et irlandais qui y partent en tournée ; les neuf rencontres sont toutes perdues par les locaux mais l’événement est un succès financier.
Si l’on excepte des rencontres contre le Chili et l’Uruguay, l’Argentine conquiert son premier résultat international dans les années 1940 en battant une sélection universitaire (Oxford et Cambridge). L'équipe de France foule pour la première fois le sol argentin en 1949 et gagne déjà difficilement (5-0 et 12-3).
La première « perf », ce sont contre les Irlandais que les Pumas la réalisent en obtenant le nul en août 1952 (3-3), avant de céder dans le second test (0-6). Vient ensuite une victoire en 1965 sur l'équipe Junior de l'Afrique du Sud (11 à 6), et surtout une victoire et un nul en 1968 contre le Pays-de-Galles (9 à 5 et 9-9). Dans la foulée, les Pumas se rendent en Ecosse en 1969 ; ils y remportent une victoire de prestige (20 à 3) puis s'inclinent ensuite sur un score serré (3-6).
Dans les années 1980, ce sont les nations du Sud qui trébuchent face aux Argentins. Le 3 avril 1982, les Jaguars d'Amérique du Sud (sélection composée principalement d'Argentins), bat l'Afrique du Sud à Bloemfontein. Le 2 novembre 1985 c'est une sorte de consécration : la Nouvelle-Zélande ne parvient pas à s'imposer à Buenos Aires (21-21). Deux ans plus tard, en novembre 1987, c’est l’Australie qui se casse les dents, toujours à Buenos-Aires (19 à 19 puis 27 à 19). Même s'ils ont traversé une période difficile dans les années 90 et peu brillé dans les coupes du monde (meilleur résultat, un 1/4 de finale, perdu contre la France en 1999, grâce à une victoire sur l’Irlande 28 à 24), cela fait maintenant 40 ans que les Pumas battent régulièrement les grandes nations.
Aurons-nous la cruauté de rappeler les résultats des Pumas ces dernières années, depuis cette coupe du monde 2003 en Australie où déjà, ils pouvaient avoir le sentiment qu’on se foutaient ouvertement d’eux (l'Argentine perd le match de poule décisif contre l’Irlande 15 à 16, alors qu’elle a enchaîné quatre matchs en deux semaines et que son adversaire n’en a eu que trois) ?
OUI.
En juin 2004, elle gagne l'un des deux test-matches l'opposant au Pays de Galles, puis s'impose face à l'équipe de France à Marseille (14 à 24). Lors de cette même tournée en Europe, elle perd 21 à 19 face à l'Irlande (drop à la dernière minute). En mai 2005, même privée de 25 de ses meilleurs joueurs en raison des championnats nationaux (ah, on peut se foutre de la gueule du foot, c’est pas dans le rugby qu’on verrait des intérêts de club supplanter ceux des sélections nationales ! Pas en tout cas celels des grandes nations…), elle obtient un nul au Millennium Stadium de Cardiff face aux Lions (égalisation de Jonny Wilkinson sur une pénalité… accordée au bout de huit minutes d'arrêt de jeu). La même année, les Argentins l'emportent face à l'Écosse 23 à 19, puis à Gênes, face à l'Italie (22 à 39). Et n’oublions pas qu’ils se sont depuis imposés pour la première fois à Twickenham, en novembre dernier, face à l'Angleterre championne du monde en titre 25 à 18… Avant de battre les Irlandais, à nouveau l’Italie chez elle et de ne céder que d’un point en France (27 à 26). En 2007, pour la première fois dans l’histoire du rugby, l'Argentine passe en cinquième position au classement mondial de l’IRB.
On aurait pu croire que cette progression constante sur le terrain soit un jour récompensée. L’Argentine est  certes considérée par l’IRB comme une nation de premier plan (elle siège donc au comité exécutif) mais elle est la seule des grandes nations à être rugbystiquement isolée. Ce qui handicape son développement.

L’Argentine a successivement fait plusieurs propositions pour briser cet isolement. D’abord, intégrer le Super 14 avec deux provinces dont l’une est déjà sportivement dans les clous, puisque l’ URBA (Unión de Rugby de Buenos Aires) est le vivier du rugby argentin. Elle espérait surtout intégrer les Tri-Nations, et a ouvertement voter pour l'obtention de la Coupe du monde de rugby 2011 à la Nouvelle-Zélande (le vote argentin a été décisif, avec le vote français, c'est lui qui a fait pencher la balance), en espérant que les Blacks soutiendrait en retour les Pumas dans leur propre demande. L’Argentine a également proposé d’intégrer le Tournoi des VI nations, en proposant d'emblée de disputer tous ses matchs à l’extérieur, c’est-à-dire en Europe. C'est en fait l'option la plus raisonnable (moins de décalages horaires, présence de la majorité des joueurs en Europe), et la Belgique appuie le projet en proposant un stade et des installations sportives comme lieu des matches "à domicile" des Pumas ; l’Eurostar et le Thalys permettraient à coup sûr de remplir ledit stade. Et en plus, la bière belge est excellente !
Une solution en plus économiquement intéressante : avec sept matches, les droits de télévisions seraient revus à la hausse.

De tout ça, il n’est plus question. Morgan Buckley, représentant de l'IRB, noie le poisson : "C'est vraiment difficile de parler d'une date mais je pense qu'il n'y a aucune chance d'intégrer une des deux compétitions avant 2010. Je viens ici pour aider l'Argentine a trouver des nouveaux moyens de financement si jamais elle devait intégrer un tournoi international."

Poser comme préalable un championnat professionnel en Argentine est une hérésie, complètement décalée par rapport aux réalités argentines. Encore une fois (ce fut la même chose pour l’obtention de la WC2011 à la Nouvelle-Zélande plutôt qu’au Japon, alors que le second dossier était notoirement plus solide), l’IRB ne joue pas la carte du développement mais celle du cercle fermé, celui où on garde les pépettes pour se les partager entre riches. Mort de rire : c'est la même IRB qui, en 1947, jugeait "farfelue" la proposition d'Alfred Eluère, alors président de la Fédération française de rugby, de créer une grande compétition regroupant les équipes des hémisphères Nord et Sud. C'est encore l'IRB qui rejetait la même idée d'Albert Ferrasse dans les années 70. Tonton Albert arrivera finalement à ses fins 15 ans plus tard, mais toujours avec une IRB traînant des pieds au nom du sacro-saint amateurisme. L'IRB, c'est la FFR d'il y a 40 ans, en pire et à plus grand échelle. Des faux culs en pardessus, champions du monde des cocktails et du serrage de louches.
Excusez moi de le dire comme ça, mais tout ça, ça pue.
Tellement qu’à mon avis, ça va sentir mauvais sur le terrain. Qui va essuyer les plâtres ? La France ou l’Irlande ? Peut-être les deux. Il n'y a qu'une solution pour que les Argentins soient enfin acceptés : qu'ils gagnent la coupe du monde. Vous n'y croyez pas ? Eux si.

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